YU WANG OU
L’ÂME SOUS LA CHAIR
Longtemps
bannie des diktats internationaux, la peinture réaffirme ses droits
en ce début de IIIème millénaire. La peinture figurative, elle, se
refuse non seulement à mourir, mais se montre aussi capable de
constants renouvellements. Elle le fait souvent par le biais du corps
qui occupe le paysage mental et la création des artistes de notre
aujourd’hui. Un corps omniprésent dans la production artistique et
ce aussi en Chine, où il avait été absent pendant 4000 ans.
Le nu en
Occident est lié à toute une panoplie de choix philosophiques,
celui de la forme, de l’anatomie, du beau. Profondément ancré
dans notre culture, de la Grèce à Léonard de Vinci, à Rubens qui
empilait les corps dans les nuages, jusqu’aux corps de l’héroïsme
ou du désespoir peints par David et Géricault, les artistes qui ont
pris comme sujet le corps sont légion.
D’autre
part, le nu est chez nous la manifestation de l’être, de la
présence. En Chine, nous sommes dans le non-être avec un lien à la
nature, socle de tout système de pensée. Certains assimilent
parfois ces estampes raffinées, ces erotica verba, aux fonctions
bien précises qui existent sous tous les cieux et à tous les âges,
même en Chine, à de l’art.
Il n’en est rien et on peut
l’affirmer : dans toute l’histoire de la Chine le nu est
absent. La tradition artistique – encre et papier – s’est forgée
autour de la nature, avec comme support la calligraphie, parfois
accompagnée, dans certaines œuvres, de silhouettes, de personnages
en contrepoint de l’ensemble. Du nu, il n’a jamais été question
dans l’art chinois.
Lorsqu’en 2003, commissaire de
l’Année de la Chine en France, j’avais conceptualisé mon
exposition Chine, le corps partout ? pour le
Musée d’Art Contemporain de Marseille,
je ne croyais pas si bien
dire. Yu Wang, l’artiste chinoise qui vit à Paris, s’intègre
tout à fait dans ce constat objectif que j’avais fait en
réunissant les œuvres de 39 artistes de l’art contemporain
chinois. Je réalise aujourd’hui encore combien le corps est un
sujet de prédilection chez les jeunes artistes chinois, même pour
ceux qui comme Wang Yu ont décidé de travailler en Occident. En
effet, la femme et l’homme sont devenus les éléments de base de
son lexique, sa « lexie » comme diraient les linguistes
structuralistes. Un support iconique illustré magnifiquement dans
les deux derniers tableaux, Le penseur et La
penseuse qu’elle va présenter au mois de juin à la
Dialogue Space gallery à Pékin.
Je dois ma
rencontre avec Yu Wang à Wang Keping, le grand sculpteur et membre
historique du groupe des Etoiles, le premier mouvement d’art
contemporain en Chine en 1979, qui m’invita à aller visiter son
atelier dans le Marais. Je dois dire que l’attrait de cette
expérience esthétique singulière fu immédiat.
Le style
audacieux, glacé et fluide à la fois, des derniers tableaux du
peintre peut s’inscrire dans une définition formelle que l’on
peut qualifier de puriste. Cette exigence de pureté, un des axiomes
de la peinture chinoise classique, est présente dans les tableaux de
Yu Wang qui bien que influencée par la peinture occidentale ne renie
pas ses assises séculaires. Du point de vue de la composition, sa
peinture présente une constante binaire, un premier plan domine le
sujet - souvent le titre de l’œuvre - et un arrière - plan en
aplat sans éléments descriptifs. Evoqué, parfois sous-entendu, le
sujet apparaît pourtant comme doté d’une présence physique
propre et péremptoire, une irréalité riche de suggestions et de
mystères.
Le 17 mars
2009 j’emmène la star chinoise Zhao Bandi qui est à Paris pour y
réaliser son fameux Panda Fashion Show au Palais de Tokyo, au
vernissage de Yu Wang à la galerie Menouar à Paris. Quelle n’est
pas ma surprise quand je le surprends en train d’effleurer avec
l’index une peinture comme pour en percer le secret... Car, depuis
2007,
l’artiste a introduit un gel acrylique mélangé avec un
vernis dans ses peintures. L’élaboration de cette technique
complexe avec l’utilisation d’un médium et d’un vernis
brillant qui normalement sert à mélanger les pigments n’est pas
étrangère à cette transparence quasi immatérielle que le peintre
donne à la surface da sa toile. La peinture, même si
la facture
n’est pas expressionniste, est toutefois plus expression que
description.
Il ne faut
pas oublier que la gravure a occupé une place de choix dans
l’existence de l’artiste. De longues d’études et une année de
cours qu’elle a dispensés à l’université de Shanghaï, ont
fait de l’artiste un graveur chevronné. Ce corps à corps qu’elle
a livré avec les plaques de cuivre et la presse a laissé des
traces. Sa peinture est issue en partie
de cette technique qui tisse
les espaces de la toile. Les contours mettant en relief les figures
et les corps, une ligne qui cisèle le tableau et ces détails qui
brisent aussi l’harmonie
de l’ensemble puisent leur origine dans
cette longue pratique de l’estampe. On pourrait y ajouter l’intérêt
qu’elle porte à l’encre diluée comme dans la calligraphie
chinoise, une formation que reçoive tous les jeunes chinois
lorsqu’ils apprennent à écrire et qui révèle aux maîtres ceux
qui sont doués pour la chose artistique.Cette liberté, elle la
retrouve dans ces aquarelles qui, après un dessin au fusain, prépare
dans une seconde étape sa peinture.
La couleur
chair rosée associée à une blondeur presque transparente envahit
aujourd’hui toutes ses toiles et propose un langage de la chair,
dont l’expressivité est parfaitement maîtrisée. Cette harmonie
chromatique est désormais
inhérente aux tableaux de la jeune femme. Elle lui permet
aujourd’hui de dégager son propre style et la vérité de son
motif.
Tout semble
délimité, apaisé, mais où transparaît curieusement une fébrilité
créatrice naturelle. Car dans le même temps, par petites touches
telluriques, souvent posées sur un détail, les yeux par exemple, où
la pâte aux rêches tonalités, émaillée de textures, de légères
boursouflures, devient épaisse, l’artiste revendique aussi une
connivence plénière avec le réel. C’est un des aspects
fondamental de la syntaxe de cette peinture : distribuer et
instruire deux unités, une peinture léchée, lustrée et un détail
matiériste frémissant,
sur une même image qui isolent le sujet et
le nappe dans une étrange solitude.
Les corps et
les visages sont devenus l’objet-même de la peinture, avec, il
faut le souligner, l’érotisme. Yu Wang aborde de front ce domaine
avec entre autres le thème des affinités amoureuses féminines,
comme dans Ne me dis pas ça ou Je
t’embrasse, solutions visuelles des plus expressives.
Depuis deux
ans, si on ne peut pas parler de rupture, on assiste cependant à
l’affirmation, la naissance d’un style où l’impudeur, la
pudeur des chairs tentatrices, une volupté
et une sexualité sont
présentes dans de nombreuses toiles. Il y a aussi chez l’artiste
un besoin de faire passer des messages et de déstabilisation de la
convention picturale.
En évoquant
parfois ce qui n’est pas actuel, les torses antiques, la peinture
devient métaphore d’elle-même. Pourtant s’il n’y a pas
d’interdit ou de transgression dans cette superbe invention
plastique, un attrait mystérieux et une plénitude hiératique
règnent dans ces œuvres. L’artiste dépasse sur son propre
terrain un orientalisme et réussit à créer de toute pièce un
orientalisme sans exotisme. Ses tableaux sont une invitation au
voyage de l’esprit et des sens. Les portraits et les corps
échappent au moment de leur fixation sur la toile à la durée et au
déterminisme du temps. Ils sont là comme fixés une fois pour
toutes dans une mémoire dont l’artiste livrerait tableau après
tableau un fragment.
Cette
intemporalité des images de Wang Yu est une des caractéristiques de
son art. Elle excelle à rendre un dépassement de la chair par
l’esprit, en cernant cette zone normalement invisible entre la
matérialité et l’immatérialité.
La jeune
femme chinoise de Paris a cette capacité d’imposer une image qui
est une révélation de ce qui normalement n’apparaît pas :
l’âme. Car Yu Wang c’est aussi l’âme sous la chair. Et c’est
la raison pour laquelle cette peinture, presque uniquement centrée
sur la figure humaine et dans laquelle l’artiste ne renonce pas à
célébrer le mystère d’un visage ou la sensualité d’un corps,
n’est jamais vraiment provocante. C’est une peinture cultivée,
raffinée, voire précieuse.
L’art de
Yu Wang c’est un maniérisme qui ne tombe jamais dans l’excès.
On peut y déceler de nombreuses influences, mais toutes demeurent
étroitement contrôlées
par une exigence de la vision et l’intelligence de l’artiste.
Henry Périer Docteur en histoire de l'art
24 avril 2009